Edwood Vous Parle de

 

 

 

La Vieillesse

 

 

 

Voilà. On sort du métro, en réfléchissant aux années de notre vie perdues dans ce transport en commun sympathique. Il est 18h, on se pose, on ôte les chaussures. On se précipite, presque, sur la platine, on allume l’ampli, on lance le disque. Comme ça, en réflexe. C’est la deuxième face de Born To Run, qui s’ouvre sur la chanson du même nom et se conclut sur l’épique Jungleland. Et là on se dit, que oui, pas de doute, ne le nions pas, on se fait vieux.

Parce que l’on croyait, tiens, qu’écouter du Springsteen, en vinyle pour aggraver son cas, en rentrant du boulot, c’était au moins pour les quadras. Les quadras des années 80. Pour vous dire. Le côté dinosaure qui nous assaille. Le grand âge qui grimpe le long de la jambe. Qui nous assène que l’on a beau écouter Dan Deacon et les Pipettes, on s’enfile quand même la face B de Born To Run à six heures du soir. Avant même d’aller se laver les mains. L’effroi.

Pourtant on ne se sent pas vieux. On n’a jamais été aussi en forme, au contraire, oui, votre honneur, monsieur le juge, je vous le jure sur ce qu’il vous plaira. Il ne faut pas se fier aux apparences, je ne reviens pas de si loin. En plus c’est sur le métro, donc c’est toujours Paris. Techniquement. Faut pas croire, moi, à 16 ans, je versais une larme sur Racing in the Streets, de Springsteen, oui. J’étais déjà un vieux con. A 16 ans. Je ne peux que rajeunir. Depuis j’ai écouté Britney Spears et j’ai dit du bien de films avec Lindsay Lohan. Avec sincérité. En plus. Sans me forcer. Pas pour faire genre. Mais parce que j’aimais vraiment cela. Je peux donc faire une croix sur les circonstances atténuantes.

Gros solo de saxophone sur Jungleland. Comment justifier cela ? Faut plaider coupable. Pas le choix. Ou alors essayer la folie passagère, l’absence, le moment d’égarement. Une schizophrénie latente. De celle qui vous fait partir au travail le matin avec Daft Punk à fond dans les écouteurs. Et rentrer le soir pour rêvasser sur du Neil Young. Période country. Voyez le genre. Mais j’étais déjà comme ça il y a 15 ans, monsieur le juge, votre majesté, seigneur, sainte trinité.

Après ça s’enchaîne. On vote à droite, parce qu’on devient méchant. On porte des t-shirts : « Mon président te pisse à la raie. » On revoit dans la même journée Sous le Soleil de Satan et les Chroniques de Riddick. Et on aime ça. On drague les filles de 20 ans et les femmes de 40. En aimant ça. Sans distinction. On plaide la démence chronique, la schizophrénie de niveau 4. On trouve que Born To Run ça déchire.

La crise de la quarantaine, me direz-vous. Evident. Cherche pas. Un truc qui tombe vachement en avance. Je ne nie pas ma précocité en bien des matières, mais là, quand même, c’est fort. Plus d’une décennie. Comme ça, c’est fait, hop, on n’en parle plus. Toujours ça de moins à se farcir, quand on y sera, à 40 ans. Mais à ce rythme. C’est la retraite à 50. Le décès à 60. Voire plus tôt. Bien fait. Clac. Mais c’est embêtant. Le revers d’être vieux trop vite. D’enchaîner Born To Run par le nouveau Nine Inch Nails. Et de tout comprendre à ce que raconte Trent Reznor, comme à 16 ans. Inquiétant. On plaide la folie. Pure. Dangereuse.

L’important c’est d’être bien avec soi et avec les autres. Un slogan de pub. Je devrais en faire des t-shirts aussi. Des stickers, des posters, des badges à accrocher aux sacs à dos. L’âge ne sert qu’à faire passer le temps. Un autre slogan. Pour faire des chansons, des poèmes, des pièces de théâtres et des conversations d’alcooliques. Le disque est fini, j’en mets un autre. Un truc à raconter dans un blog, la honte. Je plaide l’irresponsabilité. Je demande à être placée sous tutelle. Surtout si elle est belle.

 

 

Edward D. Wood Jr. (“Everybody’s out on the run tonight but there’s no place left to hide”)