Edwood Vous Parle

 

 

 

Le Lac des Signes

 

 

 

 

Montagnes enneigées et torrents figés. Ciel bleu vibrant d'une électricité engourdissante. L'air est pulsion.

Un lac seul résiste au gel.

Les ondes où se perdent les idées et les images. Les symboles et les désirs.

Dans le silence, les signes glissent avec grâce sur les eaux des sens.

Immaculés comme l'innocence de l'aube ou noirs comme les nuits de l'inconscient, ils voguent, un peu méprisants, très attentifs.

Parfois, ils prennent leur envol. Rarement solitaires, ils s'éloignent souvent en couples. Mais exceptionnellement ils peuvent former des nuées.

Sur les flots ou dans les cieux, leurs ballets paraissent improvisés, amoureux du hasard.

Mais il n'en est rien. Chaque mouvement est exécuté avec soin, chaque figure est réfléchie avec passion.

Leur but nous semble flou, sans doute un peu vaporeux comme l'atmosphère des lieux.

Pourtant les signes volent vers nous, légers et soyeux, discrets comme des soupirs.

Ils viennent à nous, pour se poser en nos esprits et se blottir peu à peu dans nos coeurs.

Alors ne vois-tu pas ces signes qui murmurent en moi ? Et leur sagesse qui scintille parfois en mon regard, et leur crainte, et leur langueur ? Ne sens-tu pas leurs ailes qui battent doucement en ma poitrine, en un appel ? Leur impatience coule dans mes veines, leur désir s'immisce dans ma voix. Chacune de mes respirations est une invitation. Chacun de mes mots, un message. Et vouloir vous inscrire sur mon carnet de bal. Et dans les plus précieuses lignes de mon journal intime. Vouloir vous garder dans la pénombre de mon être. Et vous offrir ma lumière, et vous enlacer de mes ténèbres.

Dans mes méandres, le lac est devenu rivière. Et même un torrent, où les signes s'ébattent, s'ébrouent, se chamaillent et font l'amour. Je les sens vivre en moi. Leur énergie et leurs passions sont mes moteurs. Ils veulent et je veux aussi. Ils cherchent et je trouve. J'aime leur désir, j'aime errer pour eux. Eux qui sont moi et qui chaque jour m'offre la vision de leurs montagnes et de leur lac. De ces arbres pétrifiés comme autant de fresques taillées dans la glace. Et les nuages au loin, frêles traits de pinceaux aux contours impossible à délimiter.

Tes signes se rapprochent des miens. J'entends leurs plumes qui bruissent en ton sein. Ils effleurent ta peau de l'intérieur comme j'effleure son apparence de mes mains. Je te sens vivre sous mes lèvres. Avec l'envie et la sérénité, avec les tourments et la plénitude. Ton souffle qui est promesse, cette tendresse qui griffe. Et l'apaisement quand nous sommes enfin ensemble.

Les signes parcourent les êtres et le monde. Se donnant sans mesure, se dissimulant pour mieux être compris. Ils accordent joie et effroi, jouissance et angoisse. Éternellement maîtres et esclaves. Ils donnent et ils reprennent. Toujours avides qu'on leur laisse une petite place, qu'on leur dédie notre attention. Et surtout qu'on s'agenouille auprès d'eux, qu'on lisse leur plumage abîmé par les incessants voyages, qu'on les embellisse, qu'on les magnifie. Et qu'enfin le vilain petit cauchemar devienne un splendide grand signe.

 

 

Edward D. Wood Jr. (ah si j'étais cygne...)