Edwood Vous Parle

 

 

 

Partir, Revenir

 

 

 

        J'étais mort. Du moins cela y ressemblait. Mais là, je vous écris d'un endroit qui a tous les airs du Purgatoire. C'est donc que je suis bien vivant. Et que je suis sur Terre, où c'est un peu le Paradis et un peu l'Enfer (je fais des rimes à la Mylène Farmer, moi...).

        Pourtant j'étais mort. Mort en tant que créature virtuelle, mis en sommeil prolongé par mon créateur. Il n'avait plus besoin de moi, qu'il disait. Pour un instant. Ou pour toujours. Cela dépendrait du cours du temps. Je n'avais plus l'utilité d'autrefois, il était bienvenu de me laisser reposer en paix.

 

        Oh il y avait quand même des sujets dignes de ma verve. L'extase devant le Retour du Roi, par exemple. Ou l'énervement contre les "anti-pubs" du métro parisien, débiles légers ou fieffés crétins, qui nous exhortent, à coups de messages (involontairement ?) bourrés de fautes d'orthographe, à "réfléchir", conseil des plus paradoxaux de la part de bons petits militants endoctrinés jusqu'à la moelle et chantres de doctrines obsolètes, grotesques voire fortement douteuses. A force de nous clamer qu'il faut arrêter de consommer (et tes feutres mon pote, tu les as fabriqués toi-même ?) et que nous ne sommes pas des marchandises (mais des membres du parti), ils ont presque réussi à me faire prendre la défense des publicitaires, ce qui n'est pas une petite performance. Et quand on les voit dégueulasser jusqu'aux affiches d'Amnesty International et des expositions de Beaubourg, on se dit qu'ils sont plus bêtes que méchants.

 

        Alors oui, il y avait de quoi faire ressusciter l'Edwood. Et d'ailleurs, c'est fait, du moins le temps d'une journée. Le temps de résumer l'année 2003 du cinéma et de la musique, car je ne pouvais pas garder tout cela juste pour moi. Et cela peut être lu ailleurs sur ce même site.

        Ici, il n'y a pas que Berlioz et moi, il y a surtout moi, comme d'habitude. Moi, et mes petites maximes du quotidien, ces petites devises ravissantes dans le genre de "Demain ne pourra pas être pire qu'aujourd'hui", comble de l'optimisme, joie de la liberté d'expression. Je pourrais vous plomber votre début d'année en quelques lignes, mais il n'en est pas question.

        Au contraire, à c'est instant c'est le soir de Noël et je me sens plutôt l'âme d'un bienfaiteur universel. Je me vois déjà distribuant des cadeaux à chacun d'entre vous. Des statuettes Gollum pour les messieurs et des fleurs pour les Dames. On me dira que les fleurs ce n'est pas d'une originalité folle. Mais cela fait toujours plaisir. Comme les cunnilingus. Que je pourrais aussi très bien offrir avec grande générosité, si on le note clairement sur sa liste de cadeaux. En risquant ainsi l'ire foudroyante de ma moitié, même s'il paraît que ce n'est pas tromper. Ma bonté risquant de me perdre, peut-être devrais-je m'en tenir aux fleurs.

 

        J'étais mort. Comme le Baron de Münchhausen, je trouvais l'expérience fort enrichissante. Même si je commence à en avoir l'habitude, mon brave démiurge m'assassinant symboliquement plusieurs fois par an. J'étais mort et le monde virtuel s'en moquait, il n'y avait même pas fait attention. Lui aussi il en avait l'habitude. A force de crier au loup, les villageois restent chez eux. Un jour, sans doute, je serais parti pour de bon. Et logiquement personne, ou presque, ne le remarquera. Mais si j'avais voulu que l'on se préoccupe de mon sort, j'aurais fait la Star Academy. On se serait intéressé à moi pendant une saison. Ou une demie-saison. Au moins une soirée. Peut-être.

        Mais que tout cela est bien tristounet, là, au milieu de ces fêtes. Moi qui arrivait les bras chargés de présents pour tous et toutes. Bien sûr, ces présents ont une essence des plus virtuelles, tant il est difficile de vous faire parvenir des coffrets 4 DVD des Deux Tours et des hortensias, par la magie de l'ADSL. Et je ne parle même pas du reste, mesdemoiselles ! Mais c'est l'intention qui fait toute la beauté de l'acte, dirait Kant. Elle est même plus importante que l'acte en lui-même, ajouterait un Spinoza qui n'avait pas la langue dans sa poche (décidément...).

 

        J'étais mort. Et j'aurais pu le rester. Vous seriez allé lire ailleurs. Et ça vous aurait un peu changé. Même si je me doute que vous me faites des infidélités depuis toujours. Mon rythme de production étant loin d'atteindre celui de la majorité des "bloggers", dont on se demande bien innocemment comment ils font pour avoir tous les jours quelque chose d'intéressant à raconter. Moi qui suis passé par la mort, je ne trouve même pas cela assez palpitant pour être digne d'être retranscrit. Mais ne comptez pas sur moi pour vous évoquer le menu du repas de Noël, que j'ai déjà oublié, ou le programme télévisé (je l'ai déjà fait l'année dernière).

 

        Car si j'étais mort, je suis vivant, comme le révèle l'imparfait. Parler de sa propre mort au passé, voilà bien le privilège des créatures virtuelles. La figure de style est savoureuse. J'étais mort et je le serais peut-être à nouveau ce soir. Même si on me souffle depuis la régie qu'en tant que créature je suis toujours vivante au sein du créateur. Cet infâme mégalomane égocentrique qui veut privilégier son existence bien réelle au détriment de mes petites chroniques virtuelles. Tout en sachant pertinemment que lui c'est moi et moi c'est lui. Et qu'à force de tirer sur la corde du gag schizophrénique, d'une part cela ne va plus du tout être amusant, mais d'autre part il y a des lecteurs qui vont finir par croire que nous avons un vrai problème. Surtout si je dis "nous" pour parler de moi. Simplement, vous vous doutez bien, pendant que je suis ici à vous parler, je ne suis pas ailleurs (ou si peu) à apporter la joie et le bonheur au monde entier. Ou du moins à peu près.

        Nous avons vu plus haut toute la frustration que pouvait engendrer la virtualité. C'est pour cela qu'il est bon de tuer Edwood. Pour vous inviter à aller voir ailleurs s'il n'y est pas, de préférence loin d'un PC. Mais je radote. Et de toute façon nous, enfin je, bref moi, ai autre chose à faire. Mais pour l'instant, quand le soir est long et que la pluie fait rage, quand il fait silence et que la vague se brise sur l'âme, Edwood sort de la tombe et erre sur la landes virtuelle. Parmi les ombres, au cœur de la brume, il chantonne un air paillard et il cueille des chardons. Edwood n'est pas mort, il ne peut pas reposer en paix, son esprit torturé ne peut échapper à la malédiction. Il doit rédiger des classements de fin d'année. Ah ! Il doit vous parler. Ah !

 

        J'étais mort. Mais je me manquais. Et vous me manquiez aussi. Toi, le lecteur, toi, la lectrice. Que je me permets de tutoyer, parce que c'est Noël et qu'aujourd'hui nous sommes tous frères et sœurs, ce qui laisse songeur. Vous me manquiez, malgré tout. Malgré quoi ? Tout ! Mais je ne vous en tiens par rigueur. Ce n'est pas mon genre. Paix sur Terre, etc...

        Des messieurs pragmatiques me demandent, en direct sur notre libre antenne, s'ils ne pourraient pas échanger leur statuette Gollum contre des fleurs ou mieux encore contre la ravissante attention promise aux Dames, et uniquement à elles, c'en est injuste et en plus ce n'est pas tromper. Je leur répondrais que la générosité, aussi gaillardement immense soit-elle, ne doit pas être trop abusée. De peur de voir tarir la source. Mais je comprends fort bien la revendication. Mais voilà, la nature edwoodienne annonce : "honneur aux Dames !", en leur tenant la porte et en entamant une révérence obsolète. Mais pour les messieurs, nous pouvons sans doute trouver un compromis et échanger le Gollum contre l'album de Britney Spears, voire un poster de la dite Bit-Bit, pour les plus célibataires d'entre vos.

        Et que l'on ne vienne pas ensuite me dire que je n'y connais rien en matière de délicats présents. Britney pour les uns et... hum... des fleurs pour les Dames, car ce n'est pas tromper ! Et tout le monde se retrouvera pour la grande fête que sera l'année 2004. 365 jours de joie et de bonne humeur, avec beaucoup d'émotions tous les soirs, comme sur TF1. Tout sera possible, comme le fait que je meurs, encore, mais bon on va finir par le savoir.

 

        Donc, plus ou moins en retard, un pied dans la tombe et l'autre dans les vertes prairies de Paris, je vous souhaite un Joyeux Noël et une excellente Année, car le bonheur d'autrui, après tout, c'est toujours un peu plus de bonheur dans le monde. Ca ne se refuse pas.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("here, at the end of all things")