Edwood Vous Parle

 

 

 

 

Le Maître du Monde

 

 

 

 

 

        Il était là, debout sur le bord du clavier. Une pose délicieusement shakespearienne soutenait tout son être. Il bravait l'infini du regard. Sous son pied droit, le cadavre frais d'une marmotte étalait son inconséquence. L'univers tout entier baissait la tête en signe d'allégeance. Les humains, dans leur imposante majorité, avaient courageusement décidé de ne pas regarder Star Academy 3. Car ce soir, baby, le maître du monde descendait parmi nous. Un frisson d'excitation s'insinuait dans les corps. Les esprits se voyaient déjà plus près des étoiles, prêt à recevoir la Vérité avec entrain, joie, bonheur et une ivresse des sommets qui n'avait rien à envier à celle des profondeurs. 

        Il était là, assis sur un coin de l'écran. Buvant le silence comme le lion mité vient laper majestueusement l'eau croupie de l'étang boueux quand la sécheresse transforme la savane en terrain vague douteux mais tellement joli sur les photos. Son flux de vécus jouissait de la moindre perception et chaque chose lui paraissait d'une banalité extraordinaire. Il demeura un instant dans le doute avant de trouver un nouveau chemin à suivre, lointain, sans doute hautain, mais avec de bonnes chaussures cela ne poserait aucune difficulté majeure, en particulier en ce début de mois de septembre. 

        Il était là, dressé avec arrogance, tel le Léviathan qu'il prétendait être. Génial et fourbe, prêt à mener les hommes vers leur perte ou vers la sagesse. Il fixait le mur blanc avec un contentement odieux et il rêvait déjà aux lendemains qui chantent mieux que Pink, mais il faut avouer que ce n'était pas difficile. L'air lourd et langoureux luttait longuement au loin face au temps terrible qui terrassait les taupinières tapissées de tomates trop tendres et que l'espace se laissait suivre sans savoir si le sang des serpents se sauvait sur le sol. Tendrement il leva un sourcil plein de défi. 

 

"Vous n'en voulez pas plus ?"

 

Telle était la question. 

 

        Bien sûr, il y avait quatre propositions. Au choix. Le choix, devait être effectué avec une grande maîtrise. L'intention de départ pouvait être bonne mais le résultat risquait d'être révoltant. Ah Dieu, que vous ai-je donc fait pour mériter cela ? La première proposition surgit sans crier : "Tennis !". Et la surprise fut grande ! Une exclamation parcourue le public. On vibrait en chœur. On partageait à cet instant un moment plus immense que la vie toute entière. On voulait connaître la conclusion, la fin, la vérité du sens qui racontait ce que l'on voulait bien lui prêter. Inconsciemment. Peut-être. Mais déjà la seconde proposition déboulait à la sortie du virage et refaisait son retard, alors que, franchement, on ne s'y attendait même pas. Mais à peine les esprits en venaient à réaliser le retournement de situation que déjà la troisième proposition entamait une gigue fort gracieuse, ce qui était bouleversant, tant la gigue et la grâce ne se parlent plus depuis cette histoire avec Edouard, mais si tu te souviens, le coup de traître qu'il lui a fait, c'est pas possible, pourtant je lui avais bien dit de se méfier. La quatrième proposition préféra entrer par la porte de service. C'était encore plus vicieux. Personne n'aurait pu le prévoir, sauf le monsieur avec la chemise à carreaux au sixième rang, oui, là, bonjour monsieur, est-ce que l'on peut passer un micro au monsieur avec la chemise à carreaux, là ?

 

 

        Il était toujours là, imposant sa présence à la Terre toute entière. Il était prêt à la serrer très fort dans ses mains douces et brutales. La Terre allait plier sous son pouvoir. Et la Terre allait lui demander : "Un sucre ou deux ?" Et il allait rire. Très fort. Très très fort. Mais pas après 22 heures, à cause des voisins, tout ça, la dernière fois, quand j'ai voulu regarder Predator, tout ça, il était 22h30, ce genre de choses, et là, au moment où ils déboisent avec leurs mitrailleuses, là, mortel, quoi, et bah les voisins ils sont venus faire chier, comme quoi ça faisait trop de bruit et que c'était la rentrée et que les enfants avaient école le lendemain. Et alors moi, j'leur ai dit, moi l'école, j'aime pas ça, l'école ça sert à rien, ça déforme les jeunes esprits, que moi j'leur ai dit, qu'ils ont rien à foutre à l'école, les gniards, que c'est pas bon pour eux, les gniards, l'école ça désapprend la vie en t'apprenant la fausse vie qui n'est pas vraie, aux gniards, alors moi j'leur ai dit que je préférais regarder Predator à fond les enceintes de chez Surcouf plutôt que d'aller à l'école, j'leur ai dit, même si je ne vais plus à l'école, c'est comme ça que j'leur ai dit, j'y retournerais pour rien au monde, à l'école, j'leur ai dit, que je n'en avais plus rien à secouer de Malebranche, rien à fiche de Fichte que je leur ai dit, et c'était marrant, ça, rien à fiche de Fichte, ça les a même pas faire rire, les cons, avec leurs gniards, là, qui veulent pas que je passe du D.A.F. à fond les enceintes à minuit, alors que, minuit, c'est la bonne heure, ah ! La bonne heure ! A la bonne heure on l'aime bien Ninie Peaud'chien ! A la boooonne heeeeeuurrreuuh eeuuuh eeeuhhh !

 

 

        Il était là, encore assez fier, même si l'intensité dramatique du moment finissait par baisser légèrement. C'en était troublant. Soudain, on sonna à la porte. En fait, non, comme souvent, on ne sonnait pas à la porte. Mais il fallait un événement dramatique pour relancer l'action, sinon, on allait s'ennuyer. Donc, admettons, là, on sonne à la porte. Je me lève. Je vais vers la porte. On pourrait dire que, soit la caméra me précède, bon, c'est intéressant, soit elle me suit, ce qui est intéressant aussi, vous voyez. Ou alors, elle reste fixe, et elle filme le plafond. Comme ça, voilà. Et là on m'entend qui fait : "Oui ?" à l'interphone. Même, si, ah, pas cons ! Vous imaginez bien que ce n'est pas à l'interphone que je fais "Oui ?", mais bien à la personne qui est en bas, devant l'autre bout de l'interphone, ah, pas cons ! Donc, on voit le plafond et on m'entend qui fait "Oui ?" à la personne en bas. Là, il y a de la tension dramatique. Parce qui c'est la personne en bas ? On ne sait pas. Forcément. Vu qu'on voit le plafond. Et puis on l'entend pas, la personne en bas. On entend juste moi qui dit : "Ah, c'est toi ! Attends je t'ouvre !". Et là on se dit que je connais la personne qui a sonné. Ce genre de choses. Et que je lui ouvre. On se dit que j'appuie sur un bouton ou un truc comme ça, pour ouvrir la porte, en bas. Tout ça. Mais on se dit ça sans vraiment savoir, vu qu'on voit le plafond. Et puis on entend tout cela de loin. Il y a un vrai travail de l'imagination, là. C'est très fort comme mise en scène. Je dirais même qu'il y a un travail phénoménologique complexe, pour recréer tous les concepts qu'on ne voit pas, et qui restent très vagues, voyez-vous, parce qu'on n'a pas forcément une idée générale de l'interphone, une idée bien claire et bien distincte. Donc, c'est dur comme scène, c'est très intense, le spectateur est très impliqué, il y a de l'émotion. Tout ça.

 

        Il était là, vaguement désabusé, un peu triste, très fier, tellement charismatique. Il séduisait aussi facilement qu'un chat miaule. C'était dans sa nature, à lui de séduire, au chat de miauler. Il séduisait donc, un peu tout le monde, facilement, juste par jeu, comme ça, ça lui permettait de braver l'univers, comme dans le premier paragraphe, en haut de la page, forcément en haut de la page. Bientôt il ne serait plus là, il ne faisait que passer. Il dormait sous la table entre deux pages d'un livre, de préférence dans le manuel d'Epictète, alors que moi je préfère dormir chez Lucrèce parce qu'il y a plus de place. Soudain... Mais non. Soudain ! Rien... La pâleur du crépuscule envahissait joyeusement le vide de la pièce.

 

 

        Il n'était plus là. Vaguement absent. Laissant derrière lui une trace toute relative. Il n'avait jamais existé. Sur le mur, les gerboises se remirent à danser. Soudain, on sonna à la porte. C'était elle, ma foi. Et dans le soir naissant.... la phrase resta en suspend, inachevée, pas écrite, vous voyez, une figure de style, sans véritable raison, pensez donc, on n'a même pas sonné là, pas encore, plus tard peut-être, mais là, non, même pas, mais c'était juste pour faire genre : "oui, moi je laisse des phrases en suspend, ça donne un genre, c'est chouette, tout ça, les gens se demandent : "Mais quoi dans le soir naissant ? Encore un truc romantique niais, non ? Le soir naissant, la plage abandonnée, le banc solitaire, le vent sur la montagne... Ou alors un truc de cul, ça serait bien, ça, un truc de cul, ça manque de cul cette histoire, c'est bien le cul, non ?", et je serais donc fortement tenté de vous répondre que....

 

 

 

Edward D. Wood Jr. ("Nous voici donc certains que l'âme n'est privée ni d'anniversaire, ni de funérailles.")

 

 

 

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