Edwood Vous Parle

 

 

 

 

Halloween 2

 

 

 

 

 

        En ce soir d'Halloween, il est bien normal que les fantômes du temps passé reviennent hanter les chanceux vivants. Les fantômes de ce qui fut mais aussi de ce qui aurait pu être. Un fantôme par regret, un fantôme par remord, des centaines et des milliers qui font la queue devant ma porte. J'en suis désolé mais il n'y aura sans doute pas assez de place pour tout le monde. Même si je vais pousser les meubles, laisser libre accès à la cuisine, à la chambre, à la salle de bain, aux toilettes, et il y a même un peu d'espace dans le placard du fond. On va se serrer un peu et l'ambiance montera toute seule (il n'y a pas d'ascenseur de toute façon). Ce soir, ma foi, c'est la fête (dit-il, faisant preuve d'un optimisme forcené et assez charmant).

 

        Et que croyez-vous que l'on écoute le soir de Halloween chez Edwood ? Oh non, certes pas du Oingo Boingo ou du Siouxsie. Non, on écoute Too Tough To Die des Ramones (la version avec bonus), parce que c'est d'autant plus de circonstances. Et après on met le dernier Blondie, ultra-festif pour les jeunes vieux cons qui n'étaient même pas nés à l'époque du premier album du groupe. Mais les Ramones, ce soir, c'est idéal, cela permet de secouer les squelettes qui dorment dans les placards. Et puis c'est un son à réveiller les morts. Ca tombe bien, franchement, alors, ça tombe bien. "Endless vacation ! Endless vacation !" Mais alors quoi ? On ne regarde pas du Tim Burton chez Edwood le soir d'Halloween ? Tout se perd alors ma bonne Dame ! Et bien oui, tout se perd, mais tout est fait pour se perdre non ? Mais bon, j'ai quand même acheté l'affiche de Big Fish, parce qu'il faut toujours faire les changements en douceur. Enfin, peut-être...

 

        Mais une douce résignation vient s'inviter dans la folle soirée d'Halloween. Le temps perdu qui faisait son malin depuis l'arrivée des premiers convives se voit voler la vedette par la gentillesse et le charme de la résignation. Elle sera la reine de la fête. Mais cela n'a pas vraiment d'importance. Avec une chanson le monde se fait tout petit et tout immense, tout à la fois. Pendant un instant on se retrouve face à une délégation des erreurs dont on a parsemé les grands choix de son existence. On rit. On rit. Et soudain l'ambiance se fait plus amicale, plus détendue. Les fantômes sont tellement sympathiques. Après tout, c'est leur fête, alors il faut qu'ils en profitent. Ce n'est pas tous les jours bombance pour nos camarades des temps anciens. Alors, certes, je leur en veux un peu de me faire sentir si vieux, si fatigué, si seul. Mais ce n'est que pour un soir. Et ce n'est pas bien grave, vu que l'ambiance, quand même, là, elle devient vraiment chouette. On va se resservir à boire pour la peine.

 

        Les langues se délient soudainement. Les vieilles rancunes mais aussi les vieilles passions surgissent dans les conversations. Forcément, une soirée réussie ne peut pas se dérouler sans disputes. Mais ce soir il y aura des réconciliations au programme. 

 

"Qui veut faire une partie de cartes ?"

 

La question vient du fond du salon.

 

Je l'ignore, et je pardonne, bon prince. Pourtant un jeu de cartes traîne dans un coin. 

C'est un piège.

 

Qui oserait jouer aux cartes alors que la nuit est encore si jeune ?

Qui ?

 

"Personne !"

hurle la foule en cœur.

 

Ah, c'est mieux.

 

J'ai failli avoir peur.

Le soir d'Halloween, avouez que cela aurait été maladroit.

 

 

        Où en étais-je ? Ah oui... Les fantômes du passé, les regrets, les remords, blah blah blah... Déprime, machin machin machin... Aujourd'hui j'ai mangé du thon... tout ça, tout ça.... Personne ne me comprend au lycée... Ahlalalala.... Sacré Harry Potter ! Hein ! Sacré lui !

 

 

 

        "Dans ce monde, dit la voix, il n'y a pas à hésiter, il faut toujours rester en éveil, même lorsque l'on dort. Ce que je dis peut te faire rire, mais c'est aussi la plus grande des vérités. Bon aller, ressers-moi un verre de Ice Tea plutôt que de te marrer, crétin, va !"

 

 

 

        La nuit s'avance est l'on est tenté par se laisser aller à un replis judicieux sur soi-même. Fermer soigneusement les portes et les fenêtres de son esprit et disparaître du monde. Ne plus exister. Tellement plus simple. Mais en même temps, non, c'est compliquer de disparaître, trop de travail, trop de discipline, trop de résistances à toutes les formes de tentations. Non, franchement, ce n'est pas la peine. La disparition c'est trop dur. Alors on ressert un verre à tout le monde. Parce que chez Edwood, on sait recevoir. "I'm not living in the real world !! No more !! No more !! No more !!" hurle Debbie Harry. L'ambiance reste joyeuse et sur la piste de danse tout le monde à l'air de s'amuser. Même ceux qui font tapisserie ont le sourire et l'âme loin des soucis du quotidien.

 

        Un grand élan de désespoir me submerge soudain. Oui, parfois il m'arrive d'avoir le Ice Tea triste... La colère prend la parole et ce n'est pas joli-joli à entendre. Tout le monde se demande alors : "mais qu'est-ce qui lui prend encore ? Ah mais c'est pas possible ça !". On vient me dire : "Mais enfin, merde, zut, quoi, enfin, tu as tout pour être heureux, non ? Qu'est-ce que c'est que ces vilains caprices d'enfant gâté !". Alors, juste pour être serviable et ne pas faire mentir les bonnes gens : je boude.

 

        Peu après, le vent du soir vient pleurer devant ma fenêtre. Je le laisse entrer au grand désespoir des invités qui me font remarquer que : "enfin, on est le 31 octobre là, on se les gèle dehors". Oui, mais le vent du soir se sentait seul. Alors je lui fais une place à côté de moi sur le canapé. Comme ça on pourra se sentir seul à deux. Mais la bise du novembre naissant me glisse à l'oreille : "tu te sens seul parce que tu le veux bien." Avant de s'enfuir en un souffle. Dois-je encore bouder ? La question reste en suspend car il est bientôt minuit.

 

        Chacun se tourne vers la cheminée. Tout le monde a bien accroché sa chaussette. Et le sapin resplendit sous des tonnes de guirlandes et de boules multicolores. Le Père-Noël n'est jamais en retard. Et donc à l'instant où les douze coups de minuit finissent de retentir à l'horloge du salon, sa majesté des rats part en guerre contre l'armée des soldats de plomb, vaillamment menée par le prince Casse-Noisette. C'est beau.

 

        L'ambiance se fait plus leste pour les invités qui traînent dans la chambre. La tension monte et chacun se regarde avec les yeux du prédateur assoiffé de satisfaction. Séduction et agressivité se répondent poliment, les uns et les autres se croisent et s'effleurent. Les pensées d'autrefois flirtent avec les souvenirs d'hier. La jalousie mord les cœurs, le désir laboure les âmes. Et le terme labourer est vraiment très laid. Même si de circonstances. Vous voyez...

 

        Une grande fatigue m'envahit à nouveau. Si le passé ne cesse d'égayer la soirée par ses blagues extrêmement cocasses. Le futur brille pas son absence. Il aime se faire incertain, compliqué, voir légèrement bouché. Il faut le rappeler sur son portable. On tombe sur le répondeur. Alors on lui envoie un SMS. Tout ça. Le futur doit venir à la soirée Halloween. Mais le futur n'est pas sociable. Ou alors il est bloqué dans le métro, ce qui semble finalement le plus probable.

 

        La fête traîne en longueur. Du moins à mon sens. On vient me faire remarquer que ce n'est pas très poli de rédiger un Edwood Vous Parle quand on reçoit chez soi. Oui, mais je fais ce que je veux, quand même, il y a des choses qui ne changent pas.

 

Dis-je.

 

        Au même moment le futur sonne à la porte. Il est un peu essoufflé comme tous ceux qui montent mes quatre étages à pied (ils n'ont pas trop le choix, hé ! y a pas d'ascenseur !).

 

"Alors comme ça les choses ne changent pas ?" dit-il, vachement en forme le pépère.

"Euh...", répondis-je, légèrement perplexe, sur le coup, parce que bon, on me la fait pas à moi.

"Et bien justement si, il y a des choses qui changent et je suis là pour le prouver", coupa le futur, prêt à investir le dancefloor.

 

Et il changea de disque.

 

Pour mettre les Smiths.

Ce qui, bien évidemment, eu pour effet de faire fuir tous les invités.

 

Nous restâmes seuls.

Le futur et moi.

 

"Alors et maintenant ?", demanda-t-il.

 

Ce qui était un peu fort de sa part. Parce que bon, c'est plutôt moi qui aurait du lui poser cette question.

 

Nous nous regardâmes longuement.

Jaugeant nos forces respectives.

Et nos perspectives.

 

Dans la pièce vide, l'horloge sonna une heure, juste pour faire sa maligne.

 

Tout restait à accomplir.

 

 

 

Edward D. Wood Jr.

("When the party's through
Seems so very sad for you
Didn't do the things you meant to do
Now there's no time to start anew
Now the party's through.")