Edwood Vous Parle du

 

 

Glissement Existentiel Cohérent

 

 

 

        Il arrive toujours un moment dans une vie où il est bien vu en société d'effectuer un Glissement Existentiel Cohérent ou GEC. Je suis sûr qu'une école de futurs spécialistes du stabilisateur optique sur webcam branchée sur double port USB en façade porte le même nom, mais j'ai quand même envie de vous parler du GEC. Le GEC, il faut au moins l'avoir essayé une fois avant de le critiquer. Quand on y a pas encore touché, on ne cesse de répéter : "ah moi ces saletés là, jamais !" ou bien "GEC ! GEC ! Je ne boirais pas de ton eau !". Cela fait partie des illusions de la jeunesse. "Il n'y a pas plus conformiste qu'un jeune", disait je ne sais plus qui. Forcément, le jeune, il a le monopole sur le créneau "révolte", alors il se laisse vivre, le jeune. On lui dit : "tu es jeune, donc tu es révolté". On voit pas pourquoi il ferait des efforts, vu que dès qu'il dit "non !" à ses parents, il incarne le progrès en marche. Et dès qu'il allume un joint, c'est tout le système capitaliste qui vacille. Le jeune est donc prévisible au-delà de ce qui est raisonnable pour sa santé, mais après tout il fait ce qu'il veut de sa vie, le con. Donc, maintenant que je suis jeune et que j'ai passé la crise d'adolescence, je peux être à la fois révolté conformiste et adepte du GEC.

 

        "Mais mon cher Edwood, qu'est-ce donc que le GEC alors ? Dis-nous ! Donc ! Enfin ! Soit chic ! SVP ! Quoi !". Bon, alors, si vous insistez comme ça, vous pouvez toujours vous brosser pour que je réponde. Mais qu'est-ce que c'est que ces manières de jeunes ! Le jeune est comme ça, là, tenez. A la fois obséquieux et pressé. Faut que ça bouge, faut que ça s'agite. Mais poliment. Et puis pas tout le temps, parce que des fois, le jeune, il zone, il glande, il est fracassé, je te raconte pas. Alors le GEC, il s'en fout, mais il aimerait bien savoir ce que c'est. Pour pas passer pour un con devant ses potes. Tu vois, il pourra draguer des meufs en parlant du GEC. "Oui, tu vois, Edwood a dit que le GEC c'était essentiel, ça fait partie de mon mouvement de révolte vers la maturité qui transcende les chaînes dans lesquelles ce système fasciste m'a enfermé par le biais de l'éducation." Oui, mais là, mon pauvre, tu passes pour un couillon de la lune. T'as pas le GEC tu vois. Certes tu glisses et tu te sens vachement existentiel, mais niveau cohérence, foulala, tu repasseras. D'abord ma chemise, parce que bon, cela me fera gagner du temps. Sympa, le jeune, donc.

 

        Le GEC, c'est l'instant où les principes volent en éclat et où le champ du possible, qui était si beau quand nous étions enfants et insouciants, qui a été ravagé par les tourments de la puberté poilue et bruyante, quand ce champ refleurit sous nos yeux et que nos valeurs gluantes sont lavées par l'eau du ciel qui tombe sur nos têtes. Le possible redevient possible. On se sent bien, on se contredit, on s'étouffe dans l'infini du possible. C'est tellement bien. Ahlala. Vous pouvez pas imaginer. On peut tout se permettre. Vraiment tout. Dans notre esprit, les interdits des années d'études et du conformisme adolescent flambent. On peut tout se permettre et ainsi on a vraiment le choix. Oh zut, ça y est, on a le choix. On est dans le GEC. On se laisse glisser, comme dans Fight Club. On se sent exister, comme dans Le Sacrifice. Et on est cohérent, comme dans Monstres & Cie. Enfin, je crois. Le GEC, c'est beau comme du Maupassant ou comme le sourire de Calista Flockhart. Bref, ça y est, on n'est ni jeune, ni vieux. On est libre des étiquettes, on rentre dans le moment où la révolte devient possible. Sans avoir besoin de hurler avec les loups et de répéter ce que tout le monde répète. On n'est plus dans la phase "imitation" du programme, mais dans la phase "création".

 

        Le GEC est-il passif ou bien est-il actif ? Qui dit "glissement", dit peut-être aussi se laisser glisser. En même temps ce glissement se doit d'être créatif et surtout cohérent. Difficile dans ses conditions de tout laisser à la chance, au hasard, à la génétique ou à la divinité qui vous juge de ses grands yeux réprobateurs. Le GEC demande un effort de laisser-aller. Ca peut vous paraître étonnant, mais c'est tellement évident que j'en suis frappé de stupeur. Enfin, presque. Il faut oser accepter le GEC, il faut oser le mettre en route, il faut oser l'affronter au quotidien. On se laisse glisser ? On accepte de glisser, oui ! De manière existentielle ? Forcément. Je ne sais pas si je suis bien clair. Mais bon, personne ne suit de toute façon. Ce qui est bien, car le GEC suppose de ne suivre personne, sinon c'est comme dans le toboggan, y a des files d'attente et puis ça hurle et ça se chamaille, etc... Le GEC n'est pas un groupement sécuritaire autour du toboggan, le GEC est un élan vers les soucis et les erreurs d'une vie qui s'assume comme telle. Snif, c'est émouvant...

 

        C'est effrayant, bien sûr, un tour dans le GEC. Mais pas plus que Indiana Jones à l'envers à Disneyland Ulysse 31 (Disneyland Resort, Disneyland Revient, Disneyland Ulysse 31, ça c'est de l'humour sophistiqué !). Je disais, que le GEC, ça fait peur. Parce que la liberté, ouhlala, ça fait peur. Combien d'esclaves affranchis sont restés malgré tout au service de leur maître ? Et bien c'est ce que arrive quotidiennement partout autour de nous. Tout le monde se retrouve face au GEC et préfère lui tourner le dos, effrayés par ce qui s'ouvre sous ses pieds. Ah oui, c'est le saut de Dieu, l'épreuve de la foi. Il faut oser poser les pieds dans le gouffre, pour voir si l'on tombe ou si l'on reste dans les airs, si l'on s'envole. Alors forcément, c'est bien de miser la prudence. De ne pas faire une overdose de GEC et de finir dans le désarroi qui tend à nous rapprocher d'une crise d'adolescence éternelle, ce qui est une certaine idée de l'Enfer. Le GEC est votre ami, il n'est pas là pour vous faire du mal. Ou alors, juste un peu, mais c'est tellement agréable que je sens mes pulsions SM me travailler, comme tous les soirs.

 

        Le GEC s'en fout, le GEC n'aime pas les sports d'hiver. Le GEC est engagé et tout à fait dégagé, ahlala, il a de la chance, le GEC. Le GEC craint la récupération, surtout que finalement, c'est une association de mots improvisée qui ne veut pas dire grand chose. Mais comme toujours, on peut faire dire n'importe quoi à n'importe quoi. Et si finalement le GEC était un produit ménager ? Un Glissement Existentiel Cohérent, ça pourrait être plein de chose. Comme une sorte de petite névrose qui altère votre perception de vous-mêmes, mais tout en gardant les bases de votre personnalité. Un truc de psy, quoi. Ca pourrait aussi être une figure de snowboarding, un truc de jeunes, quoi. Ou bien le GEC serait un code pour arriver à joindre les extra-terrestres par l'intermédiaire de votre mobile, vous voyez, si vous envoyez des SMS en écrivant GEC, vous dépenserez de l'argent. Le GEC est une grosse arnaque. Le GEC me fait penser à une sorte de varan. Et le premier qui me parle de Sylvie Varan gagne le droit de ne pas me serrer la main à la prochaine kermesse des Inrocks.

 

        Doit-on prononcer GEC avec un G dur ou avec un G mou. Etant donné que ce G suppose un glissement, le problème est d'autant plus délicat et cela va devenir d'une incroyable vulgarité, cette affaire, je le sens bien, enfin, façon de parler. En gros, dit-on GuEC, à la bretonne, ou plutôt, JEC, à la bonne franquette ? Ni l'un, ni l'autre, mon capitaine. On ne dit pas GEC, on l'écrit ! "Sérieusement, me souffle-t-on, c'est bien beau, tout ça Edwood, mais si je veux briller en société, ou tout simplement, disons les choses comme elles sont, coucher avec une meuf ou avec un queum avec un cul d'enfer, dois-je dire GuEC ou bien JEC ?". Cher internaute qui me pose cette question par mon intermédiaire, dans tous les cas, c'est pas comme cela que tu vas arriver à tes fins. Le GEC peut être soit dur, soit mou, selon les circonstances ; mais il faut que tu demandes à tes parents de t'expliquer, eux, ils savent ce genre de choses.

 

        "Quelle est l'utilité pratique du GEC ?", me demanderont sans doute les plus scientifiques et donc les plus inintéressants et ennuyeux d'entre vous. Le GEC peut remplacer la levure dans les gâteaux au chocolat, déjà, c'est pas si mal. On peut aussi s'en servir pour égayer les intérieurs tristes des appartements trop étroits. Parfois, même, il fait illusion pour lacer les chaussures. Il se range très bien sur les étagères et sa couleur passe à peu près partout, surtout avec le vert tendre et le bleu ciel. On en trouve de toutes les tailles et vous pouvez le brancher sur un port USB, c'est fou comme c'est pratique. Le GEC s'entend très bien avec les enfants et les chats. Il méprise foncièrement les chiens, ce qui est somme toute, logique. Le GEC aime la lecture et les carottes râpées sans se priver. Le GEC est superflu et indispensable. Le GEC est un capitaliste.

 

        "Est-ce que le GEC est rond ?", me demanderont sans doute les plus scientifiques d'entre vous, qui ont le même humour que ma grand-mère. Et bien oui, le GEC peut être rond, tant sa forme dépend peu des paradigmes et des axiomes. A vrai dire, le GEC se brosse entre les orteils avec les axiomes, ce qui me fait toujours bien rire. Le GEC est un sacré boute-en-train, le saloupiot ! Le GEC est aussi un gros coquin, mais je n'en parlerais pas ici, mais plus tard, ailleurs. Avec le GEC, c'est l'éclate tous les jours que Dieu fait. Le monde du GEC est niais et prévisible. Mais en fait non, vu que c'est censé être le contraire. Le GEC commence à me courir, mais il me semble qu'il n'a pas dit son dernier mot. Ne le cachons pas, ceci n'est que le début. Le GEC reviendra, parce que le GEC a de la suite dans les idées...

 

 

Edward D. Wood Jr. ("C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous ai priés de venir tous ici ce soir pour me regarder faire mon intéressant")