Edwood Vous Parle

 

 

 

 

 

Principe Performatif du Tabou

 

 

 

 

 

 

            Tout porte à croire, j'en ai bien peur, mais bon, asseyez-vous donc avant que je l'évoque, étendez-vous sur le divan et reprenons à propos de ce fameux goûter d'anniversaire de vos 6 ans, enfin, donc, tout semble laisser penser, envisager, même, avec une certaine certitude, oui, certes, que l'année 2003 s'achèvera bientôt, déjà, oui, et que 2004 sonne à la porte avec son lot de calendriers et de pluies froides qui évoquent l'hiver avec une telle conviction que personne n'osera les contredire. Je sais que Edwood Vous Parle est devenu au fil des ans un immense recueil radoteur dédié au "temps qui passe". On a résolument l'impression que dès que j'approche du clavier c'est pour pleurer sur le passé, le présent, le futur et tous leurs camarades. Ce n'est pas qu'une impression, c'est la vérité. Mais, enfin, le temps, cela me préoccupe, tant il m'est important de ne pas le perdre tout en appréciant de le laisser filer tranquillement dès que l'occasion se présente. J'aime à perdre mon temps, car ce n'est pas vraiment le perdre. C'est aussi une manière d'en profiter. Et si, comme le dit Brassens, la vie est pour beaucoup le seul luxe ici-bas, cette vie c'est ce temps et ce que nous en faisons. J'aime vivre dans le luxe temporel.

 

 

            Laissons là le préambule qui ne devrait jamais s'échapper plus loin que le premier paragraphe, ou alors vraiment très exceptionnellement. Et changeons de point de vue pour mieux suivre les incroyables aventures d'un touriste qui visite une ville étrangère bien étrange. A chaque coin de rue, il est à la fois admiratif et perdu. Un émerveillement un peu angoissé le saisit. Il est libre, au cœur d'un lieu inévitablement stressant, mais qui le ravit à tout instant. Et qu'importe si les crocodiles sommeillent sur les trottoirs et si les pigeons s'envolent à son approche. Il ne craint rien, il ne tremble pas. Il s'en va sautillant, bondissant, de pavé en pavé, évitant certaines flaques, sautant à pieds joints dans d'autres, il est heureux, le touriste. Il gambade et il lève le nez vers les immeubles qui s'élancent vers le ciel. Il se promène, il jette un oeil à une vitrine, ici, à un café, là. Son oeil est attiré par une horloge, ou par un drapeau, ou par les cheveux d'une passante qui passe sans soucie. Le touriste erre et il s'en contente. Bien au contraire, il s'en réjouit. Demain semble loin et aujourd'hui est infini.

 

            Non, vraiment, je ne peux pas, non, je ne peux pas, m'empêcher de parler du temps. Pourtant, lorsque Edwood Vous Parle se termine, que tout le monde est partit et que je range les chaises avant de donner un petit coup de balais, je n'y pense plus au temps. Ou si peu. Mais ce à quoi je pense alors, ne sera pas exposé ici. Mais nous n'en sommes pas là, car la fin n'arrive pas déjà. Et c'est avec quelques manipulations expertes sur le clavier que je vais offrir quelques lignes, non, mieux, quelques paragraphes supplémentaires à une foule en délire qui ne veut, décidément pas, non, décrocher du bar.

 

            En déplaçant légèrement le périscope vers l'ouest, nous apercevons, non pas la plus grande pelote de ficelle du monde, mais bien une forêt. Une ample et audacieuse forêt qui se rit bien fort de l'urbanisation galopante. Un symbole magnifique de la Nature qui n'a pas froid aux yeux et qui n'aime rien moins que de remettre en place l'arrogant qui pensait passer tranquillement son dimanche à l'ombre des grands chênes. Que nenni, mes amis ! L'arrogant, à l'ombre du grand chêne, il mourra ce soir, assommé par une pomme de pin. Car la Nature a plus d'un tour dans son sac. Et jamais elle ne se trouve prise au dépourvu. Et que l'on se méfie, chaque heure et chaque minute, qu'elle n'invente une nouvelle manière de nous ridiculiser. Mais de cela, peu nous importe, il n'y a pas de forêt à Paris, ou quasiment. Par contre il y a des musées et ça tombe bien, vu que ça nous fait enchaîner superbement vers un prochain paragraphe, attention, préparez-vous à basculer avec moi. Hop !

 

 

 

            La délicate Sophie Calle est richement à l'honneur en cette fin d'année. Rétrospective à Beaubourg, beau livre à offrir pour les fêtes, articles partout dans la presse, on tremblerait presque de la voir ainsi officialisée et surtout surexposée, elle qui a si bien définie l'égocentrisme absolu et absolument discret. Moi, Moi, Moi, partout, pour de vrai, pour de faux, mais l'air de rien, Moi toujours ailleurs et toujours présent. Comment ne pas être fan de Sophie Calle ? Sa propre existence comme un roman. Comment ne pas adorer Sophie Calle ? Sa vie est un immense récit romantique, intimement épique, d'une étrangeté parfois inquiétante, toujours très touchante. Les épisodes incroyables et vrais ne cessent de transcender son lecteur/spectateur/voyeur. Pour tous ceux qui ne connaissent pas, ou pas assez, la dame, c'est le moment de s'offrir de luxueuses séances de rattrapage. 

            Mais l'art contemporain n'apporte pas que trésors pour l'esprit, il va aussi se perdre un peu partout pour le meilleur (rarement) et pour le pire (forcément). Pour preuve, cette même Sophie Calle, qui raconte sa rencontre avec un "artiste contemporain" dont l'œuvre consistait à coucher avec des inconnues. C'est beau, c'est grand, c'est époustouflant. Il va sans dire, on se doute bien, qu'avec un tel programme, bon nombre d'entre nous se découvriraient subrepticement une âme d'artiste. D'inculte libidineux cuvant son Coca devant Star Ac', l'internaute moyen se transformerait en adepte libidineux de Marcel Duchamp et d'Andy Warhol. Moi-même, passionné par l'art, vous vous doutez bien, j'embrasserais avec ferveur, forcément, une telle carrière. Mais nous commencerions peut-être par prendre un verre. Ce qui est un bon départ. Une oeuvre intitulée : "collection et récits de verres pris avec des dames", que l'on pourrait peut-être gaillardement renommer "collection et récits de vestes prises avec des dames". On voit bien là en quoi l'art est si difficile et que l'on est rarement encouragé par les autres dans ses admirables projets. J'en suis tout peiné.

 

 

            En attendant les innombrables demandes de participations à ma future oeuvre hautement et délicieusement artistique (écrire à Edwood qui fera suivre), il faut bien s'occuper à la mesure de son exaltation de soi. J'en vois déjà tout prêt à proposer des activités follement ludo-éducative, mais non, le Scrabble ne fait plus recette et le Trivial Pursuit a perdu de sa superbe. S'amuser en apprenant n'a plus le même prestige qu'autrefois. Et l'homme ne sait plus. On lui dit que les temps changent et que finalement l'important c'est de s'amuser, avant tout, surtout, sur tout, sur tous. Alors, il ne se pose pas de questions, il s'élance sans peur vers la moindre possibilité de divertissement. La plus petite parcelle de millième de plaisir suffit à voir s'entretuer des êtres par ailleurs tout à fait respectables. Et du divertissement à tout prix naît la routine à toute heure. Mais dans cela, jamais, non, aucune fatalité. Rien ne vous empêche, rien ne m'empêche, rien ne l'empêche, rien ne t'empêche, d'aller, my, my, hey, hey, d'aller à la pêche !

 

 

 

 

 

Edward D. Wood Jr. ("We don't want to live like this. It's bad for our health.")