Edwood Vous Parle

 

 

 

 

 

La croisée des chemins

 

 

 

 

 

Il se tenait à la croisée des chemins, en se demandant bien pourquoi il n’était pas parvenu ici plus tôt. En un glissement existentiel cohérent, il avait découvert l’une des routes qui menaient au choix. Il savait d’où il venait. Il ne savait pas où il allait. Mais il savait ce qu’il voulait. Il savait ce qu’il désirait.

 

Une pluie fine tombait sur la campagne. Le soir de fin d’été rendait doucement l’âme. On entendait juste le bruissement du vent dans les herbes hautes. Il faisait encore chaud, mais il était évident qu’une nouvelle belle saison s’achevait. L’automne était déjà là, guettant au détour des nuages, tremblant d’impatience dans l’air humide. Et dans le cœur des arbres, les germes de l’hiver grandissaient et bientôt une paix délicate envahirait la nature. Le soleil couchant transformait le ciel en un rêve de couleurs.

 

Un rêve de couleurs.

Et tout donner.

 

Il se tenait à la croisée des chemins, en se demandant s’il ne devait pas rebrousser chemin. Et se perdre à jamais dans le néant. Comme si rien n’avait jamais existé. Comme s’il n’avait jamais existé. Nier le passé, nier le futur. Cette pensée lui parcourut l’esprit quelques instants. Un vestige d’une ancienne vie. Un vestige au bord de l’oubli. Resurgissant avant de disparaître pour toujours. Un doute, une peur. Quelque chose qui vibrait dans sa mémoire et qui refusait de se laisser effacer sans un dernier combat.

 

On ne pouvait pas imaginer ce qui attendait au bout des routes. Et même, lorsque nous arrivions à la croisée des chemins, ce que nous laissions derrière nous était déjà flou. Et cela pouvait rugir dans notre dos ou nous murmurer des appels déchirants, tout était déjà loin dès que les routes s’embrassaient enfin. Certains se retournent pour contempler l’abîme où ils peuvent encore se jeter. D’autres s’inclinent et saluent le passé une dernière fois. Et peut-être un remerciement. Pour apaiser ce qui a été.

 

Un rêve de neige.

Et de flammes.

 

Il se tenait à la croisée des chemins, en se demandant s’il existait enfin. Il se sentait vivant et libre. Devant les routes qui s’offraient à lui. Tout est nouveau. Même lui. Même ses pensées. Même son cœur. Même son âme. Tout lui semble neuf. Comme s’il n’avait jamais rien connu. Et pourtant, à la croisée des chemins, on apporte tout ce que l’on a été. Et on y découvre tout ce que l’on pourrait être. Un sourire se dessina doucement sur son visage.

 

Certains se trouvent terrifiés par ce qui adviendra s’ils poursuivent leur progression. Alors ils préfèrent s’en retourner au village. Par une autre voie que celle qu’ils ont empruntée pour venir. Mais dans le but de retrouver ce qu’ils ont laissé, intact ou presque. Et pourtant, si l’on se tient à la croisée des chemins, c’est pour trouver et retrouver. Pour créer et se souvenir. Donner naissance et faire revivre. Ce qu’il y a de meilleur.

 

Un rêve de mélodies.

Et d’un chat qui ronronne.

 

Il se tenait à la croisée des chemins, en se demandant ce qu’il pourrait être. Les idées foisonnaient en son esprit. Il voulait tout être et englober l’univers entier en lui. Que chaque vie possible s’incarne en lui. Une éternité d’existences. Tout ce qui était devait être lui. Mais il ne pouvait être que lui-même. Infiniment possible mais à jamais lui-même. Il leva les yeux vers les nuages. La pluie glissant paisiblement sur son visage. Il devenait à chaque minute, tout autre, et à jamais lui-même.

 

Le futur attendait. On pouvait ne pas hésiter du tout en arrivant à la croisée des chemins. Et se diriger, avec décision, vers la voie que l’on avait choisie, sans doute depuis longtemps. Ne pas chercher. Ne pas se demander. Savoir et rien que savoir. Les voyageurs égarés enviaient ceux qui traversaient ces routes sans crainte. Car l’on ne décidait finalement que rarement d’être ici. Ou alors on y arrivait trop tôt. Ou trop tard.

 

Le rêve d’être arrivé.

Et marcher, marcher pour toujours.

 

Il se tenait à la croisée des chemins et il savait quelle route choisir. Conscient et inconscient le guidaient, en chœur et réconciliés. Vers le soleil couchant, à la poursuite de la lumière, vers le soleil couchant et les premières lueurs de la pleine lune. En aimant le jour, en aimant la nuit.

Aucune route ne se dirigeait vers là où il voulait aller.

 

Il est tellement plus facile de suivre les chemins qui s’offrent directement à nous. Là où il faudrait aller. Ce qu’il faudrait faire. Ce qu’il faudrait être...

 

Il fit un pas.

Puis un autre.

 

Le rêve d’un rêve.

Et de la création.

 

Il traversa la croisée des chemins.

Se dirigea vers les hautes herbes et le soleil.

Il s’y engagea sans crainte.

Traçant une nouvelle route.

La pluie et le vent l’accompagnaient délicatement.

Il respirait avec calme et son sourire semblait immortel.

 

 

 

Edward D. Wood Jr. (hung up on a dream)