Edwood vous parle

 

 

Réflexions sur l'art contemporain

 

 

        Comment ne pas glorifier les instants merveilleux où le génie humain s'élance vers les hautes sphères de l'art en déployant ses ailes majestueuses d'albatros métaphorique ? En même temps, j'avais plutôt envie de vous parler de cul, pour une fois, pour changer. Mais bon, on fait comme vous le voulez. D'après le sondage qui trône fièrement sur la page d'accueil de ce site (enfin, fièrement en petits caractères), un grand nombre d'entre vous aimerait bien voir ces pages se transformer en gigantesque gang-bang plein de "bip" sur "bip" avec "bip" dans "bip" "bip" "bip" "bip".

 

        Bon, comme vous le voyez, il y a encore du chemin avant que je puisse écrire bite et chatte en toute tranquillité sur vos écrans. Ahlala, l'auto-censure me perdra. En parlant de cul et de sondages, aux dernières nouvelles, sept (7 !) personnes qui lisent ce site prétendent vouloir faire des choses indécentes avec moi. Et sans vouloir dénoncer, six d'entre elles ne sont pas ma copine. Alors bien sûr, c'est facile de voter n'importe quoi, mais il paraît qu'il faut avoir le courage de ses opinions. Un grand tournoi de catch dans la confiture de prunes me semble le plus raisonnable pour départager les prétendantes et peut-être aussi les prétendants, tant que nous y sommes. Cela, juste pour la forme, étant donné que je me fais un point d'honneur de satisfaire tout le monde backstage. Et après on vient me dire que je suis un être immonde, égoïste et sans aucune morale. C'est très excessif. Même si j'aimerais parfois être à la hauteur d'une réputation aussi flatteuse.

 

        A la base je devais vous parler d'art, mais finalement on va plutôt parler de cochon. Des histoires cochonnes de préférence, sous la double inspiration de Brigitte Lahaie et de Miss Piggy. La base d'une bonne histoire cochonne, c'est qu'elle ne doit pas être drôle et être seulement vulgaire. Parce qu'une histoire cochonne drôle, ça devient de l'humour, et soudain, ça devient du Monty Python ou du Desproges. Ce n'est plus du cochon, c'est de l'art ! Et ça signifierait que je retomberais gentiment sur mon thème de départ. Et ce serait bien embêtant.

 

        Comme toute personne qui a fait de longues années d'études, je connais un très grand nombre d'histoires cochonnes. Et pas seulement celle de la pute qui dit non. Le problème, c'est que l'histoire cochonne est vulgaire et c'est très embarrassant, parce qu'il y a des enfants et des jeunes filles prudes qui me lisent. Enfin, surtout des enfants. Et recourir à la vulgarité pour amuser la galerie est un procédé que l'on réserve habituellement aux comiques français pas drôles. De surcroît, l'histoire cochonne flirte souvent avec la misogynie, l'homophobie et la beauferie. Et toujours avec la frustration. Ce qui fait beaucoup pour un seul homme. D'ailleurs, étant à la fois un homme, une femme, un gay, une goudou, un beauf (ah !) et un petit être sensible et raffiné plein de discrétion et de pudeur, je risque de beaucoup me blesser en racontant une blague cochonne. Par contre, une blague raciste, là, je ne dis pas !

 

        La blague cochonne surgit en général quand on est en panne d'humour. En effet, pour faire rire quand on n'est pas drôle, il n'y a bien que les termes ciboulette et branlette qui peuvent déclencher un début d'hilarité chez les sujets les plus indulgents. Cela fonctionne bien sûr essentiellement à la fin des réunions de famille. Sauf que, normalement, il y a toujours (du moins je l'espère) quelqu'un de plus saoul et de plus beauf que vous pour raconter une histoire de pédés ou pour montrer son cul à votre grand-mère. Si vous êtes du genre à montrer votre cul à votre grand-mère, vous me fascinez, non, non, vraiment.

 

        Comme je suis plutôt du genre à montrer mon cul à une assistance réduite ou alors prête à débourser des sommes que vous ne pouvez sans doute pas vous permettre, je ne vais pas m'égarer dans le domaine de la pornographie en soldes toute l'année à la TV. Certains psychologues, peu recommandables, nous diraient peut-être que les histoires cochonnes sont une marque de décomplexions vis à vis de sa sexualité. Je vous dirais plutôt que d'un extrême à l'autre, il y a un champ de possibilités qui reste à cultiver. Et que l'abus de blagues pornos révèle plutôt une frustration mesquine. De plus, c'est ceux qui en parlent le moins qui le font le plus. Alors pourquoi est-ce que j'en parle autant ce soir ? D'une part vous pourrez vérifier que, pour un garçon, si, si, un garçon, un mâle, un spécimen reproducteur, je n'en parle pas tant que cela. Même si tout est relatif. Et d'autre part, est-ce que je vous en pose, moi, des questions ??

 

        Depuis que j'ai entamé mon long cheminement vers la sagesse, sur la voie qui mène par-delà bien et mal, j'ai pu expérimenter qu'il était vrai que tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons, tout ce que nous pensons est en rapport avec le sexe. Mais qu'il est aussi bien dommage de s'arrêter là. Mais aussi que parfois, souvent même, il fallait bien le faire. Sinon il y avait comme, euh, une surchauffe dans la machinerie. Oui, je sais, c'est assez vulgaire comme image. La frustration, comme la faim, ne peut jamais disparaître. Sauf avec la mort, mais on est loin de vouloir mourir. On peut seulement la faire taire brièvement. Alors quand on est un adepte du grignotage entre les repas, je ne vous raconte même pas comment tout cela se complique. Non, tiens, je ne vais pas vous le raconter.

 

        Je ne suis pas très doué pour évoquer ainsi notre seule et unique préoccupation à tous et à toutes. Je n'ai pas la classe des seins frémissants que l'on trouve chez James Joyce ni celle des adultères acryliques de Jarvis Cocker. Puisque tout le monde ne parle que de cul, on se sent vite très humble et très petit quand il s'agit de renouveler le genre. Mais il y a toujours tellement à dire, et tellement à faire, tant l'espace qui sépare Boccace et Maximal est immense. On ne sait quel camp choisir, perdu entre Homère et Sade. Alors on ne choisit pas son camp, en éternel "freelance" du désir textuel. On parlera un jour de poitrines naissantes à peine devinées sous des voiles délicats de déesses grecques, et le lendemain on évoquera des bites énormes s'engloutissant dans des anus avides. Alors bien sûr, en parler c'est bien, le faire c'est mieux. Donc il faudra toujours, en bon empiriste élevé à Hume et à Berkeley, réserver une grande place à l'expérience. Car entre le théorie et la pratique, les surprises sont toujours de tailles. Et pas de jeux de mots avec la taille, hein, parce que quand même, je vous vois venir, et il ne faut pas pousser trop loin. Si vous voyez ce que je veux dire. Enfin. Quand même. Enfin.

 

        Tout cela respire quand même la vulgarité bon enfant et le manque d'imagination. On a vaguement honte de raconter ce genre de choses devant des inconnus, mais bon, après tout, Freud ne disait pas mieux ! Par contre, Desproges aurait plutôt dit qu'il était temps d'arrêter de raconter des conneries, parce que, bon, hein, il est l'heure d'aller baiser. Ce qui est d'une justesse émouvante et toute philosophique. On entend encore d'ici les rires gloussants des frustrés des premiers rangs. Les années 90 ont dramatisé le sexe. Cela n'a rien à voir. Mais finalement si, tiens. Dramatisé, à raison (le SIDA, ce n'est pas une blague), mais aussi à tort. On en arrive à cette littérature du misérabilisme sexuel dont le mot d'ordre Houellebecquien est "le libéralisme sexuel, c'est l'extension du domaine de la lutte". Un slogan aussi charmeur que désespérant, qui nous renvoie à un état sauvage dans lequel la Renaissance n'a pas existé. L'univers des Mille et Une Nuits, de Rabelais, de Sade, n'est plus à l'ordre du jour. Aujourd'hui la chair est triste, tant il est difficile de retrouver la sublimation du désir dans les pornos crades pour tous et les boîtes à partouzes de province ou d'ailleurs. Tout cela n'est qu'un maigre succédané d'une libido qui ne cesse de s'oublier, comme on dit d'un chien qu'il s'oublie sur la moquette. La dialectique entre sublimation et assouvissement du désir se noie dans le tout pornographique. Et si je suis résolument pour la pornographie, je suis tout aussi contre le tout porno. Mais je m'engage là dans des débats longs et ennuyeux, que je ne tiens pas à étendre en ces lieux. La légèreté revient au paragraphe suivant.

 

        Je sens soudain une grande bouffée de crise de la quarantaine, diablement précoce, monter en moi. Je sens l'inaction, l'aigreur, le passéisme et les matins gris me grimper le long de la jambe. En réaction, je vais bien sûr m'enfuir avec une bimbo de 18 ans, me mettre à écouter les Vines et à lire Rock Sound. Heureusement la solution n'a pas besoin d'être aussi radicale. Nous abandonnerons donc les Vines et Rock Sound. Mais je me laisse sans doute aveugler par la puissance évocatrice des histoires cochonnes et des films X. Alors qu'il est bien connu que, de la même façon que l'on aimerait bien faire ce que l'on voit dans les pornos, tiens oui, on aimerait bien, on voudrait aussi combattre un Balrog sur le pont de Khazad-Dum, si, si, on voudrait bien. Mais dans les deux cas ce n'est que, hum, du cinéma et sa magie si envoûtante.

 

        Je trouve que tout cela commence à être une bien longue histoire de cul. Pas drôle de surcroît, ce qui est normal, mais même pas vulgaire, ce qui est pire, tant elle manque de "bip" et de "bip". Mais vous aurez au moins appris plein de choses intéressantes, je n'en doute pas. Notamment que votre serviteur est un hermaphrodite frustré, littéraire, vulgaire et adepte de tout ce qui est déviant dans les limites du bon goût sans limite. Ce qui fait beaucoup pour une seule créature virtuelle.

 

        A tous ceux qui trouvent que ma manière de parler de cul est aussi érotique qu'un Gervais aux fruits, je répondais qu'il n'était pas dans mes intentions de faire bander ou mouiller la galerie. Car il aurait été bien dommage d'obtenir de vous de telles réactions et de les laisser se perdre dans le néant de tout ce qui aurait pu être mais qui ne sera jamais. Mais que tout cela est trivial, mais que tout cela ne cesse de flirter avec le Gérard de Villiers, voire pire, avec le Christine Angot. L'univers du sexe est quelque chose de merveilleux qu'il vaut toujours mieux garder pour soi et exposer le moins possible. A moins d'avoir vraiment beaucoup de talent. " 'Cause This Is Hardcore"...

 

        Croyez-le ou non, j'ai respecté mon thème, car le sexe, c'est l'art, et réciproquement, dans un mouvement de va et vient extrêmement palpitant. Nous approchons de la conclusion et elle se doit d'être à la hauteur de ce qui a précédé. Ce qui ramène le challenge à des dimensions plus raisonnables. Je me souviens avoir déjà écrit quelque part, peut-être dans Lourdland, que si je rédigeais toutes ces lignes c'est parce que je voulais coucher avec vous. Si on pourra toujours me démontrer que c'est vrai, je voudrais franchement nuancer une telle affirmation. D'une part, j'ai quand même plus ou moins envie de coucher avec vous, et en général plutôt moins que plus. Et d'autre part je suis bien loin d'être la fille facile que je semble être. La conclusion tournerait donc autour de l'idée que le discours sur l'art et que le discours sur le cul sont bien difficiles à renouveler et que dans les deux cas, mieux vaut le pratiquer que d'en parler, sous peine d'être doublement frustré. Et puis c'est quand même plus enrichissant. Quand même.

Merci de votre attention.

 

Edward D. Wood Jr. ("just another song about single mothers and sex...")